Pr. Muyembe,
co-découvreur d’Ebola : «Il faut soutenir les chercheurs africains»
Diffusion : jeudi 4
juin 2015
C’est l’un des deux hommes qui ont
permis la découverte du virus Ebola. En 1976, Jean-Jacques Muyembe est de
retour dans son pays, la RDC [alors le Zaïre], après des études de médecine,
lorsque le général Mobutu décide de l’envoyer à Yambuku, dans le nord du pays
pour enquêter sur une mystérieuse épidémie qui sévit alors. Des prélèvements
sanguins qu’il effectue alors permettront ensuite l’identification de ce
nouveau virus baptisé Ebola. Pour ses travaux, le professeur Jean-Jacques
Muyembe s’est vu remettre hier, mercredi 3 juin, le prestigieux prix
Christophe Mérieux 2015 de l’Institut de France. Il répond aux questions de
Florence Morice.
RFI : Est-ce que l’Afrique de l’Ouest en a bientôt fini
avec Ebola ? Comment voyez-vous l’avenir de l’épidémie aujourd’hui ?
Professeur Jean-Jacques Muyembe : Le problème, c’est la Guinée. Nous
devons absolument arriver à éradiquer cette maladie en Guinée. Il ne faut pas
laisser la maladie devenir endémique. Il faut que la communauté comprenne qu’il
y a un danger et se mobilise pour détecter les derniers cas dans le village et
dans la forêt. C’est même une surveillance de porte à porte.
Est-ce que vous redoutez que le virus ne devienne
endémique avec des flambées de temps à autre ?
C’est ça la crainte. Il y aura d’autres épidémies qui vont
venir. Nous devons être vigilants et renforcer nos structures de surveillance
dans les pays africains, et surtout la formation du personnel soignant aussi,
parce que c’est le personnel soignant qui détecte les premiers, les cas.
Lorsque vous avez commencé à travailler sur Ebola dans
les années 70, est-ce que vous aussi, vous avez été confronté aux réticences de
la population face aux mesures destinées à lutter contre la maladie ?
Dès le départ, nous avions compris que Ebola est une maladie
socioculturelle. Nous allons là-bas, nous bousculons les habitudes : on
interdit ceci, on interdit cela. Et chez nous en RDC, dès le départ et avant
même de commencer de monter les centres de traitement, ça a été de mobiliser
d’abord la population, d’informer la population. En RDC, le président de la
République est engagé, le Premier ministre est engagé, le ministre de la Santé
est engagé. Nous avons une expérience de quarante ans. Tandis que ces pays de
l’Afrique de l’Ouest n’ont connu qu’une épidémie. Donc ils étaient surpris. La
réaction a été timide. On l’a un peu négligée. On s’y est pris tard. Or pour
cette maladie, il faut une réaction vigoureuse dès le départ et un engagement
des communautés dès le départ.
Face à ces critiques, l’Organisation mondiale de la santé
(OMS) a annoncé la mise en place d’une structure d’urgence avec un fonds dédié.
Est-ce que cette réponse vous semble adaptée et à la hauteur des enjeux ?
Pour moi le plus important, c’est de renforcer les structures de
santé des pays africains et de former les Africains eux-mêmes à détecter cette
maladie et à lutter contre cette maladie. Le plus important, c’est ça. Ce n’est
pas dire, nous allons mettre des millions qui vont servir aux experts. Non, on
met les millions pour renforcer les structures, transformer les hôpitaux
africains qui manquent même de désinfectants, des gants de protection etc.
Ça veut dire, sortir peut-être d’une logique d’urgence et
entrer dans une logique globale qui mette l’accent sur la prévention et
l’efficacité des systèmes de santé locaux ?
Exactement, c’est ça.
On a vu apparaître ces derniers mois ce qu’on a appelé
« le syndrome des survivants », à savoir une cécité partielle ou
totale, des troubles de l’audition, des douleurs articulaires. Est-ce que ça
vous surprend avec l’expérience et le recul qui est le vôtre ? Avez-vous une
idée de ce que peuvent être les conséquences sur le long terme de la maladie ?
En 1985, nous avions déjà décrit cela. Et ce que nous avions
déjà remarqué aussi, c’est que les survivants avaient une boulimie qu’on ne
pouvait pas imaginer. En 1985, nous avions décidé qu’on devait leur donner des
rations alimentaires supplémentaires parce qu’ils avaient faim tout le temps.
Des symptômes qui, d’après votre expérience, durent
longtemps ?
Ils durent très longtemps. A Kinshasa, par exemple, j’ai
quelques survivantes qui ont des problèmes de stérilité, des troubles des
règles. Il y a même des syndromes psychiques. Ça, ça dure longtemps. C’est
depuis 1985. Donc jusqu’à présent, il y en a qui se plaignent encore.
Donc il faudrait aujourd’hui encore à suivre ces
survivants ?
Il ne faut pas lâcher les survivants, les laisser à eux-mêmes.
Il faut un suivi.
Le prix Christophe Mérieux-2015 que vous avez reçu est
doté de 500 000 euros. A quoi allez-vous utiliser cet argent ?
Ce qui m’intéresse le plus, c’est chercher à comprendre quel est
le réservoir du virus. Nous pensons beaucoup au rôle que peuvent jouer les
chauves-souris. Nous allons continuer de récolter des échantillons et à les
analyser pour vraiment chercher à mettre la main sur les réservoirs. Ça reste
l’énigme scientifique sur Ebola. Si nous connaissons les réservoirs du virus,
il y aura moyen de mettre des mesures de prévention pour éviter les flambées
comme celles que nous avons en Afrique de l’Ouest. Ce prix pour moi, c’est un
symbole. C’est un signal fort pour dire qu'il faut renforcer les structures de
recherche en Afrique. Les chercheurs africains, il faut les soutenir. Ils
travaillent dans des conditions difficiles et le rôle qu’ils jouent, c’est un
rôle important. Si nous détectons les épidémies en Afrique à ce niveau-là,
nous, nous évitons que l’Europe, les Etats-Unis soient infectés. C’est un rôle
important que nous jouons au front.
Aujourd’hui, il n’existe toujours aucun traitement ou
aucun vaccin homologué, mais de nombreux travaux sont en cours. Parmi les
pistes qui sont à l’étude, y en a-t-il une qui vous semble plus prometteuse que
les autres ?
Commentaires : Nous essayons de vous faire partager ces informations car avec le temps qui court, cela échappe à certains. Gody MUNAP (Lyon/France, 14/09/2015)
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